L’existence des
changements climatiques n’étant plus contestée, le débat ne
porte plus sur leur survenance, mais bien sur l’ampleur des changements et à la
vitesse à laquelle ils s’opéreront. Qu’il s’agisse de l’élévation extrême du niveau
de mer, des inondations, la salinisation des terres ou l’augmentation de la
fréquence des vagues de chaleur et de sécheresses[1],
les changements climatiques auront inévitablement des
conséquences bien réelles sur l’environnement de l’humain et donc, l’humain
lui-même[2].
L’histoire nous
enseigne également que la Terre aura traversé deux grandes phases d’extinctions. La première aurait engendré la disparition de 90% des espèces,
tandis que la seconde en aurait rayé près de 50% de la surface de la Terre[3].
Plus près de nous, un nombre croissant de chercheurs
en écologie pense qu’une troisième extinction d’ampleur comparable aux deux
précédentes est actuellement en cours, laquelle serait, contrairement aux deux
premières, principalement le résultat des activités humaines[6].
Il est dès lors sérieusement envisageable que l’humanité soit du nombre des
espèces qui seront menacées d’extinction, sinon directement, indirectement par
le bouleversement des écosystèmes dont dépendent les humains[7].
Si les espèces
n’ont pu réussir à survivre aux extinctions massives, c’est qu’elles n’auront
pas eu le temps de s’adapter à la modification trop rapide de leur
environnement[8]. L’humain ne
fait pas exception à la règle, mais se distingue des autres formes de vie en
plusieurs points, notamment en ce qui a trait à la conscience de sa propre finitude[9]
(laquelle n’est plus directement conditionnée par les ressources locales) et par
le fait qu’il est en mesure de s’autoréguler, gage d’une meilleure vie en
société, a fortiori garants de sa
survie.
Or, depuis le
redressement de notre ancêtre primate jusqu’au système sociétal complexe
actuel, et maintenant, face à la réalité des changements climatiques et des
menaces pour la survie de l’humanité, l’on serait en droit de s’attendre à ce
que l’évolution de l’humain — en ce qu’il est conscient de lui-même et de son impact
sur la planète[10] —
fasse en sorte qu’il soit capable de voir à son bien-être et à sa pérennité en
s’autorégulant[11], notamment à
l’aide du système de droit qu’il s’est donné, pour veiller à accomplir ce que
ses gènes lui dictent — trait d’ailleurs commun à toute forme de vie — soit la croissance de son espèce, mais surtout, et
sans compromettre,
la perpétuation de ses gènes.
Rien n’est
cependant moins certain que de tenir pour acquise l’existence d’une
« sagesse implicite » de l’homme. En effet,
[Si] la science et [la] technologie
apparaissent comme d'admirables instruments de connaissance et de maîtrise, [i]ls
ne sont pourtant pas programmés pour garantir la réussite et promouvoir le bien
intégral ni le bonheur de l'homme. L'excès même de leur performance et les
abîmes qu'elles creusent devant nous, contraignent à poser la question
éthique : dès lors qu'un projet existe, l'être humain conscient,
responsable et solidaire ne peut faire l'impasse sur sa cohérence. Il a conquis
une indéniable maîtrise ; il n'en éprouve désormais que plus intensément
l'urgence d'une maîtrise de sa maîtrise — l'indispensable contrepoids d'une «sagesse».[12]
Cette
« sagesse » pourrait être traduite par les règles et normes propres à
la société humaine. Les propos de Rachel Carson à cet effet sont d'ailleurs éloquents : « We
still talk in terms of conquest… I think we're challenged, as mankind has never been challenged before, to prove our maturity and
our mastery, not of
nature but of ourselves »[13].
À cet égard, la
menace à divers éléments essentiels à la perpétuation de l’humanité, en
particulier la menace à la vie, fait l’objet de droits fondamentaux reconnus à l’homme[14].
Le droit à la vie a un statut particulier au sein de tous les droits, soit le
statut de norme impérative de jus cogens[15],
que le Comité des droits de l’homme a qualifié de « « droit suprême », « à
la base de tous les droits de l’homme », et « pour lequel aucune dérogation
n’est autorisée », même en cas de danger public exceptionnel »[16].
Malgré cette « glorification » du droit à la vie, ce dernier souffre
de quelques exceptions[17]
et demeure bien incertain, voire même illusoire lorsqu’il s’agit de le faire
valoir pour contrer les causes des changements climatiques[18].
Considérant que
ce sont principalement les impératifs de croissance économique qui sont
conditionnés par une utilisation de ressources énergétiques (pétrole, charbon,
gaz naturel) qui elles, sont en grande partie la cause même des changements
climatiques, et étant élevé au plus haut rang des droits humains, le droit
fondamental à la vie devrait passer avant toutes considérations économiques et
devrait se voir accorder la priorité en toutes circonstances[19],
au-dessus de tout autres valeurs et intérêts[20].
Ce n’est malheureusement pas ce que l’on constate à la lecture du plus récent rapport annuel de l’ONU qui se prononce et affirme que si « [l]es changements climatiques ont des incidences manifestes sur l’exercice des droits de l’homme, […] il est moins évident de déterminer si, et dans quelle mesure, elles peuvent être qualifiées de violations des droits de l’homme d’un point de vue strictement juridique »[21]. L'on considère même qu' « il [serait] douteux qu’un particulier puisse tenir un État responsable d’une atteinte à ses droits imputable aux changements climatiques »[22].
Ce n’est malheureusement pas ce que l’on constate à la lecture du plus récent rapport annuel de l’ONU qui se prononce et affirme que si « [l]es changements climatiques ont des incidences manifestes sur l’exercice des droits de l’homme, […] il est moins évident de déterminer si, et dans quelle mesure, elles peuvent être qualifiées de violations des droits de l’homme d’un point de vue strictement juridique »[21]. L'on considère même qu' « il [serait] douteux qu’un particulier puisse tenir un État responsable d’une atteinte à ses droits imputable aux changements climatiques »[22].
À l'opposé, certains diront que ce sont justement les droits humains qui dépendent du développement économique: la richesse produite contribuerait à la mise en place de normes protégeant les droits humains. À mon avis, rien n'est plus faux. Au regard des changements climatiques, si le développement
économique était réellement un facteur de protection des droits humains, comment expliquer la
cause anthropique du réchauffement climatique ? L'atteinte à l’environnement serait donc inversement
proportionnelle à la croissance ? Si c'était le cas, nous ne serions pas dans la
situation périlleuse dans laquelle nous sommes présentement, puisque le
paradigme des derniers siècles fut justement le développement économique et la
croissance à son paroxysme.
Considérant que ce sont principalement les pays en voie de développement et sous développés qui seront les plus durement touchés par les changements climatiques, il faudrait donc admettre que dans bien des cas, le développement économique et la technologie qui en découle, étant à l’origine des changements climatiques, sont plutôt une menace aux droits humains qu’une bénédiction.
Considérant que ce sont principalement les pays en voie de développement et sous développés qui seront les plus durement touchés par les changements climatiques, il faudrait donc admettre que dans bien des cas, le développement économique et la technologie qui en découle, étant à l’origine des changements climatiques, sont plutôt une menace aux droits humains qu’une bénédiction.
Les récents
constats d’échec face à la lutte aux changements climatiques appuient d’ailleurs les tendances selon lesquelles, malgré les
mesures élaborées depuis la prise de conscience de notre impact sur la planète,
la dégradation environnementale non seulement se perpétue[23],
mais s’accélère et l’humanité demeure spectatrice devant l’indissociable archétype
du système économique capitaliste qu’est la croissance perpétuelle[24].
Ceci pourrait
traduire en fait l’incapacité de la race humaine d’assurer sa propre survie,
même en faisant appel à ses droits fondamentaux suprêmes. Son système
d’autorégulation sociétal inadapté à la réalité des changements climatiques
serait-il le symptôme d’une réalité bien plus dramatique, soit la limite de sa propre
capacité d’évolution ? Faudrait-il conclure impuissamment que le déclin de
l’humanité n’aura été en fait que le cycle naturel de l’extinction des espèces
qui n’ont pu ou su s’adapter ? Que, malgré la conscience de sa propre finitude,
l’humain n’est finalement pas si différent des autres formes de vies, puisqu’il
n’aura su reconnaître les signes avant-coureurs — pourtant bien clairs — lui
indiquant que son environnement ne peut soutenir une telle croissance, une
telle consommation, une telle espèce ?
Se pourrait-il, au contraire, que germent présentement les bribes d’un
nouveau droit : signe de la capacité d’évolution humaine, non pas en
assurant une fois de plus sa survie en modifiant son environnement, mais bien, cette
fois-ci, en modifiant son propre comportement et son système sociétal au
moyen de l’adaptation de ses fondements juridiques afin qu’ils puissent tenir compte
des limites de son environnement, mais surtout du rythme auquel les changements
climatiques s’opèreront, ceci présupposant le désir de l’humain d’assurer sa
survie et celle des générations futures ?
Ou bien alors, le droit serait-il devenu autonome et insensible au concept de Justice, s’étant trop éloigné de ses fondements de justice naturelle et devenant l’outil d’intérêts économiques à court terme, témoignant de la bêtise humaine et de l’abîme grandissant entre le droit et ses assises morales, éthiques et philosophiques ?
Ou bien alors, le droit serait-il devenu autonome et insensible au concept de Justice, s’étant trop éloigné de ses fondements de justice naturelle et devenant l’outil d’intérêts économiques à court terme, témoignant de la bêtise humaine et de l’abîme grandissant entre le droit et ses assises morales, éthiques et philosophiques ?
[1] Voir Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat, Changements climatiques 2007 : Rapport de synthèse (2007)
à la p 30. [GIEC]
[2] Mon analyse portant sur
les droits spécifiques à l’humain, j'omets le courant écocentriste (deep ecology) selon lequel
« l’homme ne se situe[rait] pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais
s’inscri[rait] au contraire dans le tout qu’est l’écosphère ». Voir
Jean-Maurice Arbour et Sophie Lavallée, Droit
international de l’environnement, Coansville, Yvon Blais, 2006 à la p 125.
[Arbour Lavallée, droit international]
; L’anthropocentrisme est d’ailleurs vivement critiqué: « [It] will remain ineffective as a tool for environmental protection unless it adopts a holistic, species-centred approach ». Laurence H Tribe, « Ways Not to Think about Plastic Trees : New Foundations
for Environmental Law » (1974) 83 Yale LJ 1315
[3] La première ayant eu lieu
il y a 245 millions d’années dû au mouvement des plaques continentales; la
seconde ayant eu lieu il y a 65 millions d’années probablement dû à la
collision d’un astéroïde géant. Voir Robert E. Ricklefs et Gary L. Miller, Écologie, 4e éd, Bruxelles,
De Boeck Université, 2005 à la p 361.
[4] Voir [GIEC] supra note 1 à la p 39.5] Sumudu Atapattu, « Global
Climate Change : Can Human Rights (and Human Beings) Survive this
Onslaught ? »(2008-09) 20 Colo J Int'l Envtl L & Pol'y 35 à la p
36 : « In short,
global climate change could jeopardize the very survival of human beings on the
planet. » [Atapattu Global Climate Change] ; Burns H. Weston, « Climate
Change And Intergenerational
Justice: Foundational Reflections » (2007-2008) 9 Vt. J. Envtl. L. 375 à la p 375 [Burns] ; Rein Müllerson, « Right
to Survival as Right to Life of Humanity » (1990-1991) 19 Denv. J. Int'l L. & Pol'y 47
à la p 49. [Müllerson].
[6] P.H. Raven, « The
politics of preserving biodiversity » (1990) 40 Bio-Science 769 ; M.E.
Soulé, « Conservation : Tactics for a constant crisis » (1991)
253 Science 744.
[7] Laura Westra,
« Ecological Integrity and Biological Integrity : The Right to Life
and the Right to Health in Law » (2009) 18 Transnat'l L. & Contemp. Probs. 3, à
la p 4.
[8] « L’extinction est un
processus naturel qui exprime l’incapacité d’une espèce à s’adapter ».
Voir Robert E. Ricklefs et Gary L.
Miller, Écologie, 4e éd,
Bruxelles, De Boeck Université, 2005 à la p 361.
[9] Edouard Boné, « La
coupure gique » (1994) 50 Laval
théologique et philosophique 1 p 61, à la p 67.
[10] Sandrine Maljean-Dubois et
Vanessa Richard, « Mécanismes internationaux de suivi et de mise en œuvre
des conventions internationales de protection de l’environnement », (2004)
9/2004 Gouvernance mondiale au ¶ 11; citant Alexandre Kiss, Droit international de l’environnement,
Paris, Pedone, 1989.
[11] L’autorégulation entendue
ici au sens de se contraindre soi-même par des lois, par opposition à
l’autorégulation au sens biologique.
[13] Cité dans Philip Cafaro, « Thoreau,
Leopold and Carson: Toward an Environmental
Virtue Ethics » (2001) 22 Environmental
Ethics and Law 3 à la p 12.
[14] Notamment à l'article 6 (1)
du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP); article 2 de la Convention de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales.
[15] V. Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne, 22 mars 2001, Cour Eur.
D.H. (Grde. Ch.), aux ¶ 92, 94; voir infra
(2.1.)
[16] Haut-Commissaire des
Nations Unies, Rapport du
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les liens entre
les changements climatiques et les droits de l’homme, Doc off AG NU, (15
janvier 2009), 10e sess, Doc. A/HCR/10/61 au ¶ 21, en ligne :
<http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/10session/A.HRC.10.61_fr.pdf> [Rapport
HCNU]; Voir par exemple l'article 4(2) du Pacte international sur les droits civils et politiques, l'article
15(2) de la Convention européenne,
l'article 27 de la Convention
interaméricaine, l'article 4 de la Charte
arabe.
[17] Notamment en ce qui a trait
à la peine de mort (art. 6 (2) PIDCP; art. 2(1) de la Convention
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) et l’exigence de gestes
positifs des soins médicaux. Bien que le droit à la vie impose aux États de prendre des mesures
positives pour le protéger, les conditions essentielles à la vie, tel la santé,
la nourriture suffisante, l’accès à l’eau et à un logement convenable
n’imposent aux États de prendre des mesures positives que dans les limites de
leur capacité (voir le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)
qui n’a pas de force contraignante), ce qui laisse une marge de manœuvre
suffisante pour que ne se concrétisent que dans un avenir lointain les droit
énoncés.
[18] Rapport HCNU supra note
16 au ¶ 70.
[19] B.G. Ramcharan, The Right to life, Dordrecht, Martinus
Nijhoff Publishers, 1983, à la p 14.
[21] Rapport HCNU, supra note
16 au ¶ 70.
[22] Ibid, au ¶ 72.
[23] Pour le constat d’échec : « 13. L’environnement mondial continue d’être
malmené. La réduction de la diversité biologique se poursuit, les ressources
halieutiques continuent de se réduire, la désertification progresse dans des
terres naguère fertiles, les effets préjudiciables du changement climatique
sont déjà évidents, les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes
et dévastatrices et les pays en développement, de plus en plus vulnérables, et
la pollution de l’air, de l’eau et du milieu marin continue de priver des
millions d’individus d’une existence convenable. »
Pour la non remise en question de la
croissance et du développement, nécessairement « durable » :
« 14. La mondialisation a donné
une dimension supplémentaire à ces problèmes. L’intégration rapide des
marchés, la mobilité des capitaux et l’accroissement sensible des flux
d’investissement dans le monde entier créent à la fois de nouveaux défis et de
nouvelles possibilités dans la poursuite du développement durable […]. ». Voir Rapport du Sommet mondial pour le développement durable, Doc off
NU, 2002A/CONF.199/20, F.03.II.A.1. aux art 13 et 14.
[24] Voir généralement Serge
Latouche, « La décroissance est-elle la solution de la crise ? »
(2010) 40 : 2 Écologie & politique 51.