vendredi 20 juillet 2012

Corruption, oligarchie, division : Une histoire qui se répète...

Je fus récemment frappé par les rapprochements à faire entre le Québec du milieu du 19e siècle (lors de son passage au capitalisme industriel) et les bouleversements sociaux et économiques actuels. 

Tiré du livre "Brève histoire socio-économique du Québec", ce passage, avec les adaptations nécessaires, est particulièrement éloquent:

"Pour ceux qui pouvaient investir, ce fut une époque d’accroissement des richesses, des pouvoirs et des privilèges sociaux. Les élites déjà en place profitèrent de l’accroissement des pouvoirs civils de l’État, de l’évolution des pouvoirs policiers et judiciaires, des conflits ethniques et de l’influence idéologique et institutionnelle de l’Église pour raffermir leur autorité.
Quant aux paysans, aux colons, aux petits salariés et aux veuves, leur survie se résumait souvent à une lutte quotidienne pour trouver de l’emploi ou simplement pour joindre les deux bouts. Mais, à travers les conflits ethniques et les grèves ainsi qu’à l’occasion de certaines épidémies, on discerne une résistance aux changements fondamentaux dans le monde du travail et des relations sociales. Cette opposition se traduisit de nouveau par des émeutes, des grèves ou des manifestations politiques, d’autres fois par une résistance à l’autorité sous le couvert d’actions individuelles comme l’incendie criminel, les voies de fait ou simplement le refus d’assister aux services religieux, de payer la dîme, les taxes ou les droits seigneuriaux. Sans être particulièrement nouveau, chacun de ces actes représentait néanmoins un combat social constant." (p. 179)

Il suffit de remplacer l'Église par l'économie de marché (voir à cet effet Hausse des frais de scolarité: le culte de la Déesse Économia), les paysans par les ouvriers, les colons par les immigrants, etc.

Un simple retour dans le passé rapproché nous permet de constater à quel point chaque époque aura vu les riches accaparer l'État pour s'enrichir au détriment de la classe ouvrière, et que cette dernière n'a jamais rien d'autre que la rue et "l'illégalité" pour manifester son opposition (puisque les lois, les taxes ou la dîme par exemple étaient instaurés par et pour le pouvoir en place, soit la bourgeoisie et l'Église).

Il est bon également de se rappeler que la rébellion des Patriotes (1737-1738) ne fut pas que l'affaire des nationalistes francophones, comme voudraient bien le laisser croire l'Élite et le pouvoir qui se dit fédéraliste, mais qui n'est que plus à l'aise pour manœuvrer au Québec grâce à la division fédéraliste/souverainiste (un seul parti sert de refuge aux fédéralistes endurcis). Au contraire, plusieurs anglophones partageant les valeurs des canadiens-français de l'époque (notamment Marcus Child, Ephraim Knight, Robert Nelson de même que John Neilson, W. H. Scott et E. B. O’Callaghan qui représentaient des circonscriptions francophones). Il y avait bien sûr des divisions profondes, mais la division ethnique favorisée par l'Élite britannique servait bien plus la cause Anglo-saxonne (loyaliste) qu'Anglophone du Bas-Canada (Québec actuel).

"Diviser pour régner" est encore aujourd'hui un concept très actuel. L'union entre anglophones et francophones du Bas-Canada aurait été désastreuse pour le projet d'annexion de ce qui est maintenant le Québec au reste du Canada.

Dans la crise actuelle (corruption du parti libéral de Charest, grève étudiante, scandales multiples, ne constatez-vous pas l'effort de division et de segmentation de la population par le pouvoir en place ?

L'opposition entre les étudiants et les travailleurs, ça vous dit quelque chose ? (Comme si les étudiants n'allaient jamais être eux aussi des travailleurs!)

L'opposition entre la jeunesse et les Boomers, ça vous dit quelque chose ? (Comme si les Boomers n'avaient jamais été jeunes, et que les jeunes ne deviendraient jamais vieux!)

L'opposition entre Montréal et les régions, ça vous dit quelque chose ? (Montréal, qui a subi la majorité des inconvénients des manifestations étudiantes est pourtant moins hostile à la cause que les régions, qui elles ne perçoivent trop souvent les inconvénients des manifestations qu'à travers le filtre des médias (Péladeau et Desmarais) et les chiffres comptables des dépenses policières attribuables, disons-le, à l'instrumentalisation d'une crise sociale, prolongée à des fins partisanes du parti libéral).

Des élections avant la commission Charbonneau, alors qu'il resterait plus d'un an de mandat aux libéraux (le temps de changer leur image en changeant de chef), vous croyez que la prolongation du conflit étudiant n'avait pas pour but de monopoliser l'attention des médias sur la crise étudiante plutôt que sur les révélations de corruption du parti libéral de John James Charest ?

D'ailleurs, le Parti réformiste (conservateur) avait tout orchestré lors du projet de constitution du canada (1864) pour avantager les Anglophones loyalistes des Cantons de l'est, dont est originaire notre John James, un ex-conservateur, toujours loyaliste. Remontons le temps:
"Nulle part cette rhétorique ne fut plus évidente que lors des négociations qui aboutirent à la Confédération; la minorité anglophone du Bas-Canada se vit alors donner des garanties quant aux écoles protestantes, à la répartition des taxes scolaires et à un nombre fixe de circonscriptions dans les Cantons de l’Est. À Montréal et à Québec, des chefs politiques comme La Fontaine, Cartier et Langevin lièrent leur parti aux grands intérêts industriels en acceptant des postes d’administrateurs, des contrats et des contributions à leur formation politique." (p. 167)
Pourquoi croyez-vous que des mesures furent instaurées pour encadrer L_'_I_N_F_L_U_E_N_C_E du privé sur le politique, que l'on nomme aujourd'hui tout banalement le lobby... Pour qui le "libéral" conservateur John James, (dont plusieurs au sein du parti ont déjà accepté des postes, contrats et contributions...) dirige la province, à quels intérêts veille-t-il ?

Mise à jour:  Un sentiment de déjà-vu? 
"Au cours des décennies qui suivirent la Confédération, la politique provinciale fut marquée par l’instabilité, la forte opposition entre la droite catholique et les centristes, ainsi que par la dette provinciale de plus en plus lourde attribuable aux subsides accordés pour la construction des chemins de fer et les autres activités industrielles. Les industriels réclamèrent diverses formes d’aide gouvernementale, une main-d’œuvre bon marché et une économie stable. L’aide gouvernementale du Québec se modifia, passant de subventions directes à des mesures législatives en matière d’investissements, d’impôts et de main-d’œuvre." (p. 284)
[...]
"Les deux premiers ministres [Taschereau et Gouin] encouragèrent fortement le développement industriel par une exploitation rapide des ressources naturelles, un régime fiscal peu exigeant, l’intervention minimale de l’État dans les affaires et une attitude paternaliste envers la main-d’œuvre.
[...]
Cette alliance entre les gouvernements provinciaux libéraux et les grandes entreprises fut consolidée par de vieilles amitiés, par des sièges d’administrateurs et leurs prébendes, par des ententes contractuelles et des contributions politiques."

Ceci date du début du 20e siècle...

L'histoire ne fait que se répéter vous me direz...

Il suffit de se remémorer quelque peu son histoire pour découvrir que nous tombons souvent facilement dans le même piège de la désinformation et de la division orchestrées par l'élite de l'ombre (corporatisme international, Demarais), qui s'enrichit encore et toujours au fil des crises sociales, et ce, depuis des lunes...

Il est grand temps que ça cesse.

... Et les ouvriers du 19e siècle qui manifestaient leur opposition se faisaient traiter eux aussi de gâtés pourris et considérés comme chanceux de pouvoir travailler (dans des conditions merdiques) pour nourrir leur famille...

Chaque époque a ses avancées sociales, et chaque avancée sociale a ses détracteurs: principalement la bourgeoisie qui voit ses privilèges fragilisés, et la portion de la population qui s'endort au son des contes de fées bourgeois...

Réveillons-nous! Éduquons-nous! Apprenons de notre histoire et ne perpétuons pas l'erreur.

Prenons conscience de la force du nombre, lorsqu'orienté dans la même direction, ne serait-ce qu'un instant...

... Et dire que l'Élite a réussi à monter une bonne partie de la population contre le principe de l'éducation accessible et universelle, la faisant paraître comme du gaspillage; comme quelque chose d'inutile, dont une minorité se sert (supposément l'élite), mais dont tous, particulièrement le peuple "des-tracteur", aurait grandement besoin...

"L'histoire, y'a pas de job en histoire, ça sert à rien d'autre que d'pelleter des nuages, péter d'la broue, siphonner les fonds publics... J'la connaît pas mon histoire, pis r'gard moé, j'gagne ben ma vie... En-t-k j'gagne ben plus que les historiens pis des philosophes de sciences molles... Moé, je r'gard en avant, pas en arrière, chu pas né pour un p'tit pain..."
... Et pour ceux qui disent que l'attrait des multinationales en terre québécoise est synonyme de richesse, ce n'est pas en faisant la pute qu'on peut être à la fois riche ET digne...

Prospectus de la Shawinigan Water and Power Company, 1930:

"Nulle part au monde ne trouvons-nous d’aussi bonnes conditions ouvrières que dans la province de Québec, tout spécialement dans la région de la Shawinigan Water and Power Company.

Il serait difficile de trouver un peuple plus heureux et satisfait sur terre. Le sentiment de satisfaction du peuple canadien-français constitue un élément très important pour les employeurs de cette région; cette valeur humaine étant directement attribuable à la direction sage et avisée de leurs pères confesseurs, les prêtres catholiques. Dans cette région, pendant des siècles, le premier principe de la religion des habitants a voulu que l’on soit heureux de son sort.

Les syndicats locaux font des demandes modérées... De plus, la dimension proverbiale de la famille canadienne-française constitue un facteur d’importance dans la disponibilité de la main-d’œuvre. Puisque tous doivent se nourrir, tous doivent travailler et les manufactures disposent ainsi d’une main-d’œuvre féminine et masculine à portée de la main ; et, puisque tous doivent travailler, les salaires demandés sont extrêmement bas"

"Qu'il fait bon faire des affaires au Québec!" (entendre: "on les ... pour des peanuts, et ils en redemandent encore!")

Belle... Belle job de brainwash...

Je me souviens... pas...



SOURCE

Dickinson, John A. et Young, Brian. "Brève histoire socio-économique du Québec", 4e édition, Septentrion, 2009. p. 167, 179, 284.

dimanche 3 juin 2012

Le culte de la déesse Économia

Que de maux et d'écrits
 Pour de si simples chiffres
Faisant ombrage à une idéologie
 Pourtant malade au paroxysme
 Que notre sinistre gouvernement
N'ose même pas vendre ouvertement

PROLOGUE

Encore la hausse des frais de scolarité! Mais la référence à cette dernière n'a pour but que de parler du symptôme d'un mal bien plus grand, un exemple sur lequel bâtir un raisonnement, un prétexte à la réflexion...

Réfléchissions...

CONTEXTE

Le gouvernement libéral accepte de réduire les frais afférents du même montant que les économies dégagées dans la gestion des universités.

La CRÉPUQ affirme qu'il y aura très peu de marge de manœuvre pour dégager des économies dans les dépenses des universités.

Malgré le très peu d'économies envisageables (d'ailleurs contesté), donc de possibilités de baisser les frais afférents -- a fortiriori les frais de scolarité -- le gouvernement s'entête à ne pas appliquer les économies potentielles ("invraisemblables") auxdits frais de scolarité (contributions étudiantes). Si des économies son illusoires, et par le fait même une baisse des frais de scolarité correspondante, comment justifier cette position si elle n'est pas idéologique ?

L'augmentation des frais de scolarités ne vise donc pas à assurer le financement des universités. Ce n'est pas non plus une question de budget, non plus qu'une question de juste part. (voir à ce sujet: Hausse des frais de scolarité: Qui dit vrai ?). Il s'agit encore moins d'assurer la qualité de l'enseignement ou de la recherche, puisqu'une meilleure gestion des ressources aurait pour effet d'augmenter les fonds disponibles, donc alloués pour l'amélioration de la qualité de l'enseignement et de la recherche (entendre recherche fondamentale).

Plus récemment, même une réduction du crédit d'impôt (Ce crédit d'impôt bénéficie directement aux étudiants une fois devenus travailleurs, donc à coût nul) n'était pas une solution envisageable pour le gouvernement, pour des prétextes d'image !

Si le gouvernement était d'accord pour qu'un conseil provisoire évalue l'efficacité des universités, c'est que les étudiants y étaient minoritaires (p. 11 et 12). La majorité était formée de recteurs, de représentants du gouvernement et de représentants du milieu des affaires, désignés par le gouvernement ! Pourquoi donc et dans quel but ? Arrimer les formations universitaires aux besoins de l'entreprise privée, dans une optique de marchandisation des universités (vous reverrez ce concept à la fin du texte, mais probablement d'un autre œil !).


MARCHANDISATION ET CONSOMMATION

Nous l'avons tous entendu ce mantra de la "marchandisation du savoir / éducation / universités", à un point tel qu'il devient banal. C'est comme le capitalisme: on regarde d'un air dubitatif ceux qui le remettent en question. Mais comme un poisson vivant dans l'eau polluée, on ne réalise pas à quel point ce qui nous semble indispensable en fait nous tue. Ce n'est pas l'eau qui tue les poissons, mais bien la pollution (toxicité de l'eau) ; ce n'est pas non plus le capitalisme qui tue, mais bien ses excès. Ce serait donc comme dire que l'eau polluée qui tue est, somme toute, bonne pour les poissons parce qu'elle contient tout de même des nutriments et les nourrit ! Gras, sucre, sel, cigarette, alcool, toxicité, capitalisme ! La dissonance est évidente, mais avons-nous su évaluer en temps opportun les dangers de leur consommation excessive et/ou à long terme?

Je dis bien ici consommation

Parce que la consommation est à la base de l'économie de marché (dite capitaliste) que plusieurs perçoivent comme étant le fondement de l'augmentation de la richesse et l'élévation du niveau de vie de tous, même les plus pauvres. Ils n'ont pas tout faux, mais l'envers de la médaille est occulté: ceux qui perdent au change n'ont plus le nécessaire (entendre ressources) pour parler suffisamment fort et que leur point de vue soit entendu !

On pourrait prendre pour exemple les pays sous-développés, mais approchons-nous plutôt des conséquences locales d'une non-écoute, et ce, même en contexte démocratique (entendre oligarchie). Par exemple, le gouvernement conservateur a récemment coupé 8 des 11 postes de chercheurs sur la toxicologie du St-Laurent, et plus particulièrement sur les bélugas, qui sont un excellent indicateur du niveau de pollution globale du fleuve en raison de sa position de tête dans la chaîne alimentaire (faire ici un rapprochement avec l'humain).

Loin loin du sujet vous me direz, mais cette coupure du gouvernement est faite au nom de l'économie (de marché) qui dicte (1) des compressions gouvernementales, mais surtout (2) la réduction des moyens de mesurer l'impact qu'auront les forages pétroliers d'Old Harry sur l'environnement qui lui, par exemple, pourrait nuire à la sacro-sainte économie.

Quel est le rapport ? Voyez ce qui suit.

ARGUMENT ÉCONOMIQUE Vs INTÉRÊT ÉCONOMIQUE

L'argument économique du gouvernement est d'effectuer des compressions budgétaires pour réaliser des économies au sein de l'appareil gouvernemental. Le réel intérêt économique, car nous ne parlons plus ici de l'argument mis à l'avant-plan, mais bien du but d'invoquer l'argument (entendre appât) qui lui, fait ombre au réel intérêt économique.

Le réel intérêt économique donc, n'est pas de réaliser des économies en coupant des postes de chercheurs, mais bien de supprimer les sources de données et statistiques pouvant faire une tache dans le parcours théorique des bienfaits économiques d'Old Harry, et éventuellement ralentir, voire même empêcher l'exploitation pétrolière: ce qui est en fait le RÉEL enjeu économique. Mais celui-là, il est moins populaire, du moins, il pourrait générer plus de craintes.

Alors on met de l'avant les coupures motivées par la réalisation d'économies de salaires de vieux intellectuels amoureux de bélugas inutiles, pendant qu'on retire les moyens de mesurer l'impact à long terme (tant environnemental qu'économique) que pourraient causer les forages. Mais qu'est-ce que le long terme pour un parti politique, 5 ans, tout au plus ?

Qui perd alors au change ? Les 8 chercheurs ? Les bélugas ? La biodiversité du St-Laurent ? Aucun de ceux-là ne perd autant que la population humaine qui se prive d'un laboratoire qui permettrait de comprendre comment la pollution affecte les êtres au sommet de la chaîne alimentaire, tant pour le béluga que pour l'humain. Si tous ces acteurs ne parlent pas assez fort, l'exploitation se fera, et pollution ou risque de catastrophe écologique s'en suivra, le tout, probablement plus que 5 ans plus tard...

Mentionnons que les bélugas du St-Laurent sont anormalement atteints de cancers (3% dans le règne animal, 23% chez l'humain, 27% chez le béluga). Y aurait-il un lien à faire avec des cancers humains ? Qu'importe ! Le cancer est lucratif ! Qui investira pour mettre de l'avant un plan de prévention, limitant l'expansion économique (entendre pollution et profit majoritairement privé) ? Il est en effet bien plus lucratif de trouver médicaments et traitements pour soigner le (déjà) malade, que de prévenir l'apparition de la cause (entendre mine d'or) du besoin (entendre soif) en médicaments/traitement (entendre vivre) ! Une mine d'or qu'est cette soif de vivre ! Trop machiavélique pour être vrai.

Vraiment ?

Ce n'est que beaucoup plus tard que la population, une fois directement affectée -- et le lien de causalité établi (illusoire sans des données et statistiques) -- parlera assez fort pour qu'on l'entende. Mais il risque d'être trop tard... Qui alors perdra réellement au change, mais surtout, au profit de qui ?

Le lien avec la marchandisation des universités ? J'y arrive. 

L'ÉCONOVIE

À quoi bon, dans un monde dominé par l'économie de marché, offrir des programmes pour lesquels on ne prévoit aucun débouché économiquement viable ? (Voir à ce sujet: "Petite réflexion sur l’utilité et l’instrumentalisation des études et du savoir."). "L'économiquement viable" s'entend dans le cadre d'une économie de marché où les profits doivent indubitablement être au rendez-vous.

Ainsi va l'éconovie, une adaptation du monde par et pour l'homo œconomicus.

Tout ceci, parce que la consommation est le moteur de l'économie de marché: le producteur produit, le marchand marchande, le consommateur consomme ! Pour créer de la richesse ! Vraiment ?

Les universités dans tout ça ?

Former la main-d’œuvre de ce qui fait tenir en place cette roue infernale. Éduquer le "capital humain" pour qu'il puisse servir (entendre outiller) à la fois au (le) producteur produisant et au (le) marchand marchandant. En finalité, ces travailleurs (entendre outils) jouent leur rôle de consommateurs actifs suffisamment riches pour consommer ce à quoi ils sont outillés à produire.

Je n'ai rien inventé ici, c'est le principe même du fordisme, l'ère industrielle fait alors un réel bond en avant... Avions-nous d'abord préalablement maîtrisé le saut, et d'autant plus l’atterrissage ?

L'université (entendre organe de transmission du savoir), devenue indispensable en raison de l'avancée du savoir et des technologies, serait donc sur le point de devenir un maillon de la chaîne de l'éconovie pour laquelle on voue un culte, voire la finalité même de l'existence humaine ?

Et si la puissance d'un pays se mesurait à ses richesse et diversité culturelles, à son savoir. Au nombre et à la qualité des penseurs, philosophes, sociologues, musiciens, artistes de toutes sortes. Tout plein de sciences "molles" (entendre inutiles). Qu'y découvririons-nous ? L'utopie diraient certains, l'enfer diront d'autres...

Mais la justification de l'enfer se limiterait à comparer les pays opprimés en raison de leur refus d'entrer à pieds joints dans le tourbillon du commerce international (entendre l'éconovie), tel que pensé (entendre prévu) par les puissances colonialistes, qui en sont également les principales bénéficiaires...

Le bouillon de culture n'a aujourd'hui de valeur que s'il est exporté, valorisé (entendre cashé). De la culture sur demande, une formation universitaire sur demande, un savoir sur demande... Tout pour capitaliser, produire, vendre, "rendementer" sur investissement dans le but singulier de "créer de la richesse", que l'on associe à tort comme LE guichet unique menant au bien-être. Le bien-être n'est-il pas une finalité ? Ne peut-on pas le dissocier de l'éconovie ? Le bonheur serait donc un concept néo-classique ?

Le débat sur la hausse des frais de scolarité, qui n'a en fait pas eu lieu avec le gouvernement Charest, se veut en fait une expression par la population du seuil à ne pas dépasser, une limite à respecter, au-delà de laquelle l'emprise de l'économie sur ce qui se veut le patrimoine commun de l'humanité ne peut pas tresspasser: l'avancée du savoir et de la connaissance. Qu'aurait eu comme impact la propriété intellectuelle au temps de Cro-magnon ?

La hausse des frais de scolarité s'inscrit dans une logique (redisons-le, mais cette fois-ci avec une perspective nouvelle), une logique de M_A_R_C_H_A_N_D_I_S_A_T_I_O_N du savoir ! Orienter la connaissance, donc l'évolution humaine, en fonction de ce qui est économiquement rentable, non plus humainement viable ! (Voir à ce sujet: La capacité d'évolution humaine: Une remise en question par les changements climatiques).

L'humain a pourtant vécu des milliers d'années sans la marchandisation du savoir (imaginez le peuple inculte que nous serions si Cro-magnon avait "marchandisé" ses connaissances, limitant ainsi la transmission du savoir à ceux qui pouvaient se le permettre, et non les meilleurs... Desmarais fils n'a qu'hérité, W. Bush aussi, Ben Laden aussi, etc).

LE CULTE DE LA DÉESSE ÉCONOMIA

L'économie de marché serait-elle alors devenue une fin en soi, orientant tous les choix de société, quitte à opérer de "justes" sacrifices commandés par les gourous de la finance pour apaiser la colère ravageuse de la déesse Économia ?

Tel Dieu, Économia ne serait indulgente qu'envers ses repentants... D'une grâce bienveillante, accueillant inconditionnellement ses brebis égarées, à condition qu'elles s'y convertissent et y fassent acte de foi... (et d'y ajouter le pléonasme aveugle...).

Des méchants bébés gâtés ces étudiants qui ne se plaignent que pour une augmentation de 325$, 254$, puis 219$ par année... Peu importe le chiffre, c'est comme les 8 scouts en vacances (entendre scientifiques barbus à bélugas), les vrais enjeux, insidieux mais profonds, dépassent le simple montant de la hausse, dépassent les simples mises à pied de quelques scientifiques, dépassent le seuil d'attention du grand public préoccupé par ce qu'il y aura dans son assiette le soir, mais victime d'embonpoint...

POST-PARTUM

Le mouvement de contestation naissant laisserait-il derrière lui un goût amer à la génération qui croyait pouvoir mettre au monde sans que sa vie n'en soit bouleversée ? Certains, de tous âges, adhèrent cependant à ce bouleversement et montrent un signe d'éveil après 40 ans de service, passant  tranquillement de spectateurs à réels acteurs dans la (entendre leur) société et qui le font autrement qu'en s'instrumentant. L'espoir est là, mais...

D'entendre, après plus de trois mois d'opportunités de discussion et de débat profond, des propos qui n'évoquent encore qu'une guerre de chiffres haussiers variant entre 0$ et 325$ par année, démontre qu'un vaste travail d'éducation populaire reste à faire. Les solutions pleuvent, mais n'incluent pas de hausse telle que le commande Économia, donc inacceptables pour le gouvernement... actuel.

Le but de la hausse est bien l'intégration économique du savoir, non pas le financement des universités ! Le but de la hausse est également le désengagement progressif de l'État envers ce bien commun qu'est l'éducation, sous un prétexte de la juste part, pour mener en douce ce projet d'annexion au marché. À court terme, pour les myopes, le but de l'étirement du conflit étudiant, c'est de détourner l'attention d'un bilan idéologique peu reluisant, et non pas de jouer à l'entêté !

Idéologie et débat de fond, confortablement vautrés à l'ombre d'un "fallace"...

Que de maux et d'écrits pour de si simples chiffres, faisant ombrage à une idéologie que notre sinistre gouvernement n'ose même pas vendre ouvertement...

Et après ?

RENAISSANCE

Il suffit d'écrire l'histoire...

...

Le futur, c'est aujourd'hui...

mercredi 25 avril 2012

Au-delà de la grève étudiante...

Au-delà de la grève étudiante, des manifestations et des injonctions. 

Au-delà du jeu politique d'influence, des stratégies de négociation, de "timing" électoral, de séduction de l'électorat. 

Au-delà même de la hausse des frais de scolarité, de la réduction ou non de l'accessibilité aux études supérieures, de la gratuité scolaire. 

Une prise de conscience réelle s'est amorcée.

Conscience que ce que nous voulons n'arrive pas tel qu'on le voudrait. "Bébés gâtés" diront certains. "Idéalistes" diront d'autres. "Visionnaires" diront les plus téméraires ! Il n'en demeure pas moins, nos destins sont entre nos mains, il n'en tient qu'à nous. 

Le mouvement étudiant aura fait émerger 30 ans de profonds refoulements. La contestation de l'ordre établi ne peut se faire que dans un minimum de chaos, car justement, l'ordre est (était ?) É_T_A_B_L_I. 

Mais ce qui est beau, c'est le refus obstiné du mouvement d'accepter l'inacceptable. Malgré la désinformation, le lobby et la proximité entre privé et élus par exemple, l'avenir du peuple, dont la nouvelle génération s'en fait l'ambassadrice, est pris en main. 

La jeunesse apporte un regard nouveau sur les aberrations devant lesquelles elle se bute; elle s'enfarge dans les absurdités, probablement par virginité d'esprit, tellement ces "évidences" héritées de la société ne sont pas encore tenues pour acquises, voire incomprises. Qui comprend l'absurde ne le serait pas également

La jeunesse permet une remise en question de ce qui est établi, mais qui a pourri à la suite d'une succession d'années d'intérêts particuliers. De par son statut d'étudiant, la jeunesse, elle, peut faire passer ses intérêts personnels APRÈS ceux de la collectivité: pas encore de maison, voiture, sécurité d'emploi, dettes ou enfants à entretenir ou payer, comme ce sera le cas une fois qu'elle se sera profondément enlisée dans la cour des "grands": terrain miné de tentations matérielles et de considérations personnelles.

Ce que les étudiants et la jeunesse ont à entretenir cependant, ce sont le rêve et les idéaux. Car ce sont eux qui, en bouleversant les idées préconçues, incarnent l'évolution. L'esprit vierge des "préparvenus" de ce monde, dont la vue n'est pas encore limitée par de confortables œillères; qui sont à ce jour ni convaincus que les limites sont infranchissables, ni corrompus par les idées à constructions tant fallacieuses qu'insidieuses et issues d'un héritage qui n'a aujourd'hui rien à voir avec ce que la jeunesse antérieure concoctait en ses temps révolutionnaires... car elle aussi voyait à concrétiser ses rêves et ses idéaux... Leur poids démographique le leur aura permis... (voir à ce sujet "Idéalisme et rêverie: les réelles aspirations québécoises de changement").

Cette jeunesse antérieure a vieilli, et avec elle se sont transformés ses idéaux, passant tristement d'un rêve à une réalité ne représentant plus les rêves initiaux. Mais cette "réalité" fut construite, et peut par le fait même être déconstruite à la fois par ses propres bâtisseurs et les "rénovateurs" des générations qui suivent.

Au-delà, donc, de la polarisation gauche/droite, fédéraliste/souverainiste, pour ou contre la hausse.

Au-delà des oppositions jeunes/boomers, étudiants/travailleurs, gars/filles, yin/yan !

Au-delà de la politique, et bien au-delà des partis, il y a les idées...

Et ce sont ces idées que fait présentement émerger le mouvement étudiant. Les idées sont brassées, ne font pas l'unanimité et tant mieux ! Mais pour mettre de l'avant des idées nouvelles, matérialisées par de nouvelles priorités, l'ordre établi ne peut faire autrement que d'être bousculé, remis en question, remodelé.

Le plus troublant, c'est que cet ordre est aussi défendu bec et ongles par ceux qui se prétendent être "l'autorité", et qui finalement occultent le vrai débat, pour des considérations immédiates, électoralistes, qui n'ont rien à voir avec un quelconque projet à long terme, si ce n'est que de prendre ce qui reste, pour le temps qui reste; tous conscients que la fin approche...

Car en mode survie, le regard myope s'élève bien peu au-delà de l'horizon...

samedi 7 avril 2012

Le mouvement étudiant veille...

La hausse des frais de scolarité est plutôt facile à comprendre: le Québec n'a plus d'argent!

Admettons que c'était vrai. 

Comme tout bon père de famille, la question qui devrait logiquement suivre est la suivante: mais où est donc passé cet argent ? Parce que l'État a des revenus; il a aussi des dépenses. Et une gestion comptable se résume à additionner les uns et y soustraire les autres, vous arriverez à un solde. S'il est positif, on est heureux, on fête et on baisse les impôts! S'il est négatif par contre, une correction s'impose: on doit soit hausser les revenus et/ou réduire les dépenses. Ça semble logique, non ? Mais rien n'est plus faux !

C'est pourtant ce raisonnement qui sert de prémisse à l'argumentaire entier du gouvernement entourant la hausse des frais de scolarité.

Toute la question de la répartition et de la provenance des revenus et des dépenses a été évacuée ! On saute aux conclusions comptables en voyant le solde négatif sans se poser de question à savoir comment en sommes-nous arrivés là ? C'est là que ça se corse et que plusieurs décrochent: comment sommes-nous arrivés à réduire une question si complexe à sa plus simple expression pour conclure qu'un solde négatif impose automatiquement une hausse des revenus et/ou une baisse des dépenses ?

Les motifs de la hausse des frais de scolarité ne seraient-ils en fait qu’une immense fraude, comme le fut jadis (et encore !) l’idéal du capitalisme faussement édulcoré par les politiques keynésiennes, suivi par le boom économique de la 2e Guerre, pour ensuite être propulsé par la consommation de masse qui s’en suivit ?

Si à la base, aucune remise en question n'est faite sur les raisons de ce solde négatif, comment réellement s'en sortir sans perpétuer l'erreur ? Certainement pas en augmentant les revenus et en limitant les dépenses: un examen complet de la situation actuelle est capital, mais surtout la remise en question des suites d'événements qui nous ont menées à cet impasse. Le faisons-nous cet examen complet de la situation ? 

Voilà où en est arrivé le mouvement étudiant  qui ne contestait à la base que les frais de scolarité.

Un petit retour en arrière s'impose.

Rappelons que les années 80 et les vagues successives de déréglementation et de déconstruction d'acquis sociaux auraient dû mettre fin à l’idéalisation de l'économie de marché, mais le crédit et son corolaire (l’endettement) compensèrent la perte du pouvoir d’achat des consommateurs dû aux politiques néo-libérales: un respirateur artificiel en attendant de trouver une solution viable, toujours en attente...

Mais si le crédit en a appauvri plusieurs en leur permettant de maintenir leur niveau de consommation sans nécessairement avoir besoin de revendiquer de meilleurs salaires, il en aura enrichi d’autant plus une minorité qui a fait croire à l’augmentation globale de la richesse, tandis qu'elle ne représente en fait que les miettes d’un gros gâteau que se partage la minorité. La majorité survit avec le crédit et les miettes.

Le gâteau grossit donc, les miettes augmentent alors, mais demeurent tout de même des miettes ! La plupart des mouettes n’auront jamais accès au gâteau tant convoité. Mais le gâteau rempli tout de même sa fonction d’entretenir le rêve d’y goûter un jour – et de là sa pertinence. C’est la carotte qui motive l’âne. Sommes-nous tous si bêtes ?

La hausse des frais de scolarité s’inscrit dans la même logique de marchandisation: c’est le crédit privé qui permet au gouvernement d'imposer la hausse des frais de scolarité sans qu’il n'y ait trop d’opposition au sein de la population, du moins, c'est ce qu'il croit. Mais le crédit privé n’a pas toujours été aussi accessible et donc envisagé comme solution de rechange. Sans cet outil, la hausse des frais de scolarité ne serait tout simplement pas envisageable, tout comme ce fut le cas lors de la diminution des acquis sociaux sous les Gouvernements Reagan et Thatcher (années 80) qui influencèrent grandement l'économie mondiale.

Les politiques sociales des Trente Glorieuses, dont le droit à l’éducation qui y est issu, sont en fait des concessions faites par l’occident en réaction au socialisme de l’est: édulcorer le capitalisme et tempérer les excès du libre-marché. Il en résulta deux pactes internationaux distincts (PIDCP et PIDESC) qui n'étaient pas à la base destinés à être scindés en deux. Afin qu'ils soient tous deux ratifiés par la majorité des pays membres de l'ONU, le seul compromis possible était la scission qui donna lieu à deux protocoles respectifs de mise en oeuvre, dont celui du PIDESC qui ne vit le jour qu'en 2008, mais qui n'est ratifié à ce jour que par 8 pays... 

L'on créa donc des droits fondamentaux, les uns (PIDCP) de première et les autres (PIDESC) de seconde classe ou génération. Cette confrontation entre deux idéologies (capitalisme et communisme) fit en sorte que les droits économiques et sociaux du PIDESC furent à tout le moins "tolérés" par l'occident: c'est tout un jeu de négociations que de "plaire" à suffisamment de pays pour aboutir à deux pactes internationaux que ratifieront une majorité de pays, sans toutefois que le second (le PIDESC) ne soit contraignant, faute de protocole de mise en oeuvre...

La fin de la guerre froide et la chute de l’URSS délièrent progressivement la retenue qu’avait l’occident envers le libre-marché pour lui donner plein gaz en réduisant peu à peu les mesures sociales héritées de la période de séduction (New Deal avec Roosevelt, politiques keynésiennes donnant suite aux Trente Glorieuses d’après-guerre), qui n’avait jusqu’alors jamais montré ses vraies couleurs, ses vraies dents. 

La réelle « menace » socialiste étant alors une époque révolue à partir des années 1990, le champ est libre pour le néo-libéralisme pur, concrétisé d'abord par la hausse des frais de scolarité du début des années 1990, tout juste après la chute de l’Union soviétique, et donnant lieu à celle dont nous sommes présentement les témoins. Ce ne serait donc qu'un début...

Mais le mouvement étudiant veille, se présente en chien de garde obstiné, refuse de perpétrer ces mêmes erreurs, refuse l'endettement profitant aux mieux nantis et refuse que croissent les inégalités et les écarts de richesse...

Le mouvement veille...

mercredi 21 mars 2012

La capacité d'évolution humaine: Une remise en question par les changements climatiques

L’existence des changements climatiques n’étant plus contestée, le débat ne porte plus sur leur survenance, mais bien sur l’ampleur des changements et à la vitesse à laquelle ils s’opéreront. Qu’il s’agisse de l’élévation extrême du niveau de mer, des inondations, la salinisation des terres ou l’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur et de sécheresses[1], les changements climatiques auront inévitablement des conséquences bien réelles sur l’environnement de l’humain et donc, l’humain lui-même[2]

L’histoire nous enseigne également que la Terre aura traversé deux grandes phases d’extinctions. La première aurait engendré la disparition de 90% des espèces, tandis que la seconde en aurait rayé près de 50% de la surface de la Terre[3]. Plus près de nous, un nombre croissant de chercheurs en écologie pense qu’une troisième extinction d’ampleur comparable aux deux précédentes est actuellement en cours, laquelle serait, contrairement aux deux premières, principalement le résultat des activités humaines[6]. Il est dès lors sérieusement envisageable que l’humanité soit du nombre des espèces qui seront menacées d’extinction, sinon directement, indirectement par le bouleversement des écosystèmes dont dépendent les humains[7].

Si les espèces n’ont pu réussir à survivre aux extinctions massives, c’est qu’elles n’auront pas eu le temps de s’adapter à la modification trop rapide de leur environnement[8]. L’humain ne fait pas exception à la règle, mais se distingue des autres formes de vie en plusieurs points, notamment en ce qui a trait à la conscience de sa propre finitude[9] (laquelle n’est plus directement conditionnée par les ressources locales) et par le fait qu’il est en mesure de s’autoréguler, gage d’une meilleure vie en société, a fortiori garants de sa survie.

Or, depuis le redressement de notre ancêtre primate jusqu’au système sociétal complexe actuel, et maintenant, face à la réalité des changements climatiques et des menaces pour la survie de l’humanité, l’on serait en droit de s’attendre à ce que l’évolution de l’humain en ce qu’il est conscient de lui-même et de son impact sur la planète[10] fasse en sorte qu’il soit capable de voir à son bien-être et à sa pérennité en s’autorégulant[11], notamment à l’aide du système de droit qu’il s’est donné, pour veiller à accomplir ce que ses gènes lui dictent trait d’ailleurs commun à toute forme de vie soit la croissance de son espèce, mais surtout, et sans compromettre, la perpétuation de ses gènes.

Rien n’est cependant moins certain que de tenir pour acquise l’existence d’une « sagesse implicite » de l’homme. En effet,

[Si] la science et [la] technologie apparaissent comme d'admirables instruments de connaissance et de maîtrise, [i]ls ne sont pourtant pas programmés pour garantir la réussite et promouvoir le bien intégral ni le bonheur de l'homme. L'excès même de leur performance et les abîmes qu'elles creusent devant nous, contraignent à poser la question éthique : dès lors qu'un projet existe, l'être humain conscient, responsable et solidaire ne peut faire l'impasse sur sa cohérence. Il a conquis une indéniable maîtrise ; il n'en éprouve désormais que plus intensément l'urgence d'une maîtrise de sa maîtrise — l'indispensable contrepoids d'une «sagesse».[12]

Cette « sagesse » pourrait être traduite par les règles et normes propres à la société humaine. Les propos de Rachel Carson à cet effet sont d'ailleurs éloquents : « We still talk in terms of conquest… I think we're challenged, as mankind has never been challenged before, to prove our maturity and our mastery, not of nature but of ourselves »[13].

À cet égard, la menace à divers éléments essentiels à la perpétuation de l’humanité, en particulier la menace à la vie, fait l’objet de droits fondamentaux reconnus à l’homme[14]. Le droit à la vie a un statut particulier au sein de tous les droits, soit le statut de norme impérative de jus cogens[15], que le Comité des droits de l’homme a qualifié de « « droit suprême », « à la base de tous les droits de l’homme », et « pour lequel aucune dérogation n’est autorisée », même en cas de danger public exceptionnel »[16]. Malgré cette « glorification » du droit à la vie, ce dernier souffre de quelques exceptions[17] et demeure bien incertain, voire même illusoire lorsqu’il s’agit de le faire valoir pour contrer les causes des changements climatiques[18].

Considérant que ce sont principalement les impératifs de croissance économique qui sont conditionnés par une utilisation de ressources énergétiques (pétrole, charbon, gaz naturel) qui elles, sont en grande partie la cause même des changements climatiques, et étant élevé au plus haut rang des droits humains, le droit fondamental à la vie devrait passer avant toutes considérations économiques et devrait se voir accorder la priorité en toutes circonstances[19], au-dessus de tout autres valeurs et intérêts[20].

Ce n’est malheureusement pas ce que l’on constate à la lecture du plus récent rapport annuel de l’ONU qui se prononce et affirme que si « [l]es changements climatiques ont des incidences manifestes sur l’exercice des droits de l’homme, […] il est moins évident de déterminer si, et dans quelle mesure, elles peuvent être qualifiées de violations des droits de l’homme d’un point de vue strictement juridique »[21]. L'on considère même qu' « il [serait] douteux qu’un particulier puisse tenir un État responsable d’une atteinte à ses droits imputable aux changements climatiques »[22].

À l'opposé, certains diront que ce sont justement les droits humains qui dépendent du développement économique: la richesse produite contribuerait à la mise en place de normes protégeant les droits humains. À mon avis, rien n'est plus faux. Au regard des changements climatiques, si le développement économique était réellement un facteur de protection des droits humains, comment expliquer la cause anthropique du réchauffement climatique ? L'atteinte à l’environnement serait donc inversement proportionnelle à la croissance ? Si c'était le cas, nous ne serions pas dans la situation périlleuse dans laquelle nous sommes présentement, puisque le paradigme des derniers siècles fut justement le développement économique et la croissance à son paroxysme.  

Considérant que ce sont principalement les pays en voie de développement et sous développés qui seront les plus durement touchés par les changements climatiques, il faudrait donc admettre que dans bien des cas, le développement économique et la technologie qui en découle, étant à l’origine des changements climatiques, sont plutôt une menace aux droits humains qu’une bénédiction.

Les récents constats d’échec face à la lutte aux changements climatiques appuient d’ailleurs les tendances selon lesquelles, malgré les mesures élaborées depuis la prise de conscience de notre impact sur la planète, la dégradation environnementale non seulement se perpétue[23], mais s’accélère et l’humanité demeure spectatrice devant l’indissociable archétype du système économique capitaliste qu’est la croissance perpétuelle[24].

Ceci pourrait traduire en fait l’incapacité de la race humaine d’assurer sa propre survie, même en faisant appel à ses droits fondamentaux suprêmes. Son système d’autorégulation sociétal inadapté à la réalité des changements climatiques serait-il le symptôme d’une réalité bien plus dramatique, soit la limite de sa propre capacité d’évolution ? Faudrait-il conclure impuissamment que le déclin de l’humanité n’aura été en fait que le cycle naturel de l’extinction des espèces qui n’ont pu ou su s’adapter ? Que, malgré la conscience de sa propre finitude, l’humain n’est finalement pas si différent des autres formes de vies, puisqu’il n’aura su reconnaître les signes avant-coureurs pourtant bien clairs lui indiquant que son environnement ne peut soutenir une telle croissance, une telle consommation, une telle espèce ?

Se pourrait-il, au contraire, que germent présentement les bribes d’un nouveau droit : signe de la capacité d’évolution humaine, non pas en assurant une fois de plus sa survie en modifiant son environnement, mais bien, cette fois-ci, en modifiant son propre comportement et son système sociétal au moyen de l’adaptation de ses fondements juridiques afin qu’ils puissent tenir compte des limites de son environnement, mais surtout du rythme auquel les changements climatiques s’opèreront, ceci présupposant le désir de l’humain d’assurer sa survie et celle des générations futures ? 

Ou bien alors, le droit serait-il devenu autonome et insensible au concept de Justice, s’étant trop éloigné de ses fondements de justice naturelle et devenant l’outil d’intérêts économiques à court terme, témoignant de la bêtise humaine et de l’abîme grandissant entre le droit et ses assises morales, éthiques et philosophiques ?


[1] Voir Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Changements climatiques 2007 : Rapport de synthèse (2007) à la p 30. [GIEC]
[2] Mon analyse portant sur les droits spécifiques à l’humain, j'omets le courant écocentriste (deep ecology) selon lequel « l’homme ne se situe[rait] pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscri[rait] au contraire dans le tout qu’est l’écosphère ». Voir Jean-Maurice Arbour et Sophie Lavallée, Droit international de l’environnement, Coansville, Yvon Blais, 2006 à la p 125. [Arbour Lavallée, droit international] ; L’anthropocentrisme est d’ailleurs vivement critiqué: « [It] will remain ineffective as a tool for environmental protection unless it adopts a holistic, species-centred approach ». Laurence H Tribe, « Ways Not to Think about Plastic Trees : New Foundations for Environmental Law » (1974) 83 Yale LJ 1315
[3] La première ayant eu lieu il y a 245 millions d’années dû au mouvement des plaques continentales; la seconde ayant eu lieu il y a 65 millions d’années probablement dû à la collision d’un astéroïde géant. Voir Robert E. Ricklefs et Gary L. Miller, Écologie, 4e éd, Bruxelles, De Boeck Université, 2005 à la p 361.
[4] Voir [GIEC] supra note 1 à la p 39.5] Sumudu Atapattu, « Global Climate Change : Can Human Rights (and Human Beings) Survive this Onslaught ? »(2008-09) 20 Colo J Int'l Envtl L & Pol'y 35 à la p 36 : « In short, global climate change could jeopardize the very survival of human beings on the planet. » [Atapattu Global Climate Change] ; Burns H. Weston, « Climate Change And Intergenerational Justice: Foundational Reflections » (2007-2008) 9 Vt. J. Envtl. L. 375 à la p 375 [Burns] ; Rein Müllerson, « Right to Survival as Right to Life of Humanity » (1990-1991) 19 Denv. J. Int'l L. & Pol'y 47 à la p 49. [Müllerson].
[6] P.H. Raven, « The politics of preserving biodiversity » (1990) 40 Bio-Science 769 ; M.E. Soulé, « Conservation : Tactics for a constant crisis » (1991) 253 Science 744.
[7] Laura Westra, « Ecological Integrity and Biological Integrity : The Right to Life and the Right to Health in Law » (2009) 18 Transnat'l L. & Contemp. Probs. 3, à la p 4.
[8] « L’extinction est un processus naturel qui exprime l’incapacité d’une espèce à s’adapter ». Voir  Robert E. Ricklefs et Gary L. Miller, Écologie, 4e éd, Bruxelles, De Boeck Université, 2005 à la p 361.
[9] Edouard Boné, « La coupure gique » (1994) 50 Laval théologique et philosophique 1 p 61, à la p 67.
[10] Sandrine Maljean-Dubois et Vanessa Richard, « Mécanismes internationaux de suivi et de mise en œuvre des conventions internationales de protection de l’environnement », (2004) 9/2004 Gouvernance mondiale au ¶ 11; citant Alexandre Kiss, Droit international de l’environnement, Paris, Pedone, 1989.
[11] L’autorégulation entendue ici au sens de se contraindre soi-même par des lois, par opposition à l’autorégulation au sens biologique.
[12] Edouard Boné, « La coupure anthropologique » supra note 9 à la p 67.
[13] Cité dans Philip Cafaro, « Thoreau, Leopold and Carson: Toward an Environmental Virtue Ethics » (2001) 22 Environmental Ethics and Law 3 à la p 12.
[14] Notamment à l'article 6 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP); article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
[15] V. Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne, 22 mars 2001, Cour Eur. D.H. (Grde. Ch.), aux ¶ 92, 94; voir infra (2.1.)
[16] Haut-Commissaire des Nations Unies, Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme, Doc off AG NU, (15 janvier 2009), 10e sess, Doc. A/HCR/10/61 au ¶ 21, en ligne : <http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/10session/A.HRC.10.61_fr.pdf>  [Rapport HCNU]; Voir par exemple l'article 4(2) du Pacte international sur les droits civils et politiques, l'article 15(2) de la Convention européenne, l'article 27 de la Convention interaméricaine, l'article 4 de la Charte arabe.
[17] Notamment en ce qui a trait à la peine de mort (art. 6 (2) PIDCP; art. 2(1) de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) et l’exigence de gestes positifs des soins médicaux. Bien que le droit à la vie impose aux États de prendre des mesures positives pour le protéger, les conditions essentielles à la vie, tel la santé, la nourriture suffisante, l’accès à l’eau et à un logement convenable n’imposent aux États de prendre des mesures positives que dans les limites de leur capacité (voir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui n’a pas de force contraignante), ce qui laisse une marge de manœuvre suffisante pour que ne se concrétisent que dans un avenir lointain les droit énoncés.
[18] Rapport HCNU supra note 16 au ¶ 70.
[19] B.G. Ramcharan, The Right to life, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1983, à la p 14.
[20] Müllerson supra note 3 à la p 49.
[21] Rapport HCNU, supra note 16 au ¶ 70.
[22] Ibid, au ¶ 72.
[23] Pour le constat d’échec : « 13. L’environnement mondial continue d’être malmené. La réduction de la diversité biologique se poursuit, les ressources halieutiques continuent de se réduire, la désertification progresse dans des terres naguère fertiles, les effets préjudiciables du changement climatique sont déjà évidents, les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes et dévastatrices et les pays en développement, de plus en plus vulnérables, et la pollution de l’air, de l’eau et du milieu marin continue de priver des millions d’individus d’une existence convenable. »

Pour la non remise en question de la croissance et du développement, nécessairement « durable » : « 14. La mondialisation a donné une dimension supplémentaire à ces problèmes. L’intégration rapide des marchés, la mobilité des capitaux et l’accroissement sensible des flux d’investissement dans le monde entier créent à la fois de nouveaux défis et de nouvelles possibilités dans la poursuite du développement durable […]. ». Voir Rapport du Sommet mondial pour le développement durable, Doc off NU, 2002A/CONF.199/20, F.03.II.A.1. aux art 13 et 14.
[24] Voir généralement Serge Latouche, « La décroissance est-elle la solution de la crise ? » (2010) 40 : 2 Écologie & politique 51.